L'Autoroute de la pluie

Initiative de réappropriation climatique

L’impact climatique des coupes rases

🌳🌧️ Les coupes rases ont-elles un impact direct sur notre climat ? 🪓☀️

En France, la pratique des coupes rases en sylviculture suscite la polémique, à mesure qu’on comprend l’importance de l’arbre et du sol, grâce notamment à des associations comme @Canopee.

Une vaste étude parue en juin 2023 Expertise collective CRREF “ Coupes Rases et REnouvellement des peuplements Forestiers en contexte de changement climatique ” synthétise les connaissances sur ces pratiques. Le chapitre “Effets sur le milieu physique” évalue les impacts climatiques des coupes rases. Avant d’examiner ceux-ci, voici une liste (non-exhaustive) des conséquences des coupes rases :

➡️Les propriétés hydrodynamiques du sol sont perturbées

➡️ Avec la diminution de l’évapotranspiration, la teneur en eau du sol augmente (10 à 66 % en moyenne sur une épaisseur de sol allant de 25 à 50 cm) 

➡️ Le niveau de la nappe phréatique peut remonter sensiblement

➡️ Le ruissellement et l’érosion augmentent de 47% et 700% (d’après l’analyse de 155 bassins versants)

➡️ La fertilité des sols est très perturbée, notamment suite à une “rupture abrupte du cycle biologique et des modifications du pédoclimat”

➡️ Le stock de carbone dans les sols diminue

➡️ La biodiversité est très perturbée

En matière de climat, les coupes rases augmentent le rayonnement solaire diurne, les pertes radiatives nocturnes “ce qui accroît les amplitudes quotidiennes et saisonnières des températures de l’air proche du sol, et du sol en surface.” Selon la taille de la surface concernée, l’impact varie (surtout pour les coupes supérieures à 0,25 ha). 

Les impacts climatiques sont importants : “le microclimat sur les berges d’une rivière proche d’une coupe rase est modifié pendant plusieurs années, même si la lisière nouvellement créée se situe à plusieurs dizaines de mètres du cours d’eau. […] Lorsque la taille d’une trouée est supérieure à deux à trois fois la hauteur de l’arbre, les risques de chablis lors des tempêtes augmentent considérablement, d’un facteur 3 environ.” (voir notamment le post  » Quel est l’impact des forêts d’Europe occidentale sur la formation de la couverture nuageuse ?«

“Les coupes rases de très grandes tailles (> 10 000 ha) (des coupes sanitaires après des tempêtes extrêmes dans le contexte français) peuvent modifier également le climat régional du fait d’une modification brutale d’indice foliaire, d’albédo et de rugosité, dont la combinaison peut induire une augmentation ou une baisse d’ennuagement et de précipitations selon la disponibilité en eau.” 

Les études sur l’Amazonie documentent ces impacts aux échelles régionales et mondiales. Si, en France, il n’y a pas de coupes rases de cette taille sans raison sanitaire, la multiplication de coupes rases de taille moyenne a forcément un effet délétère et immédiat sur notre climat.

Il est donc critique que ces pratiques soient proscrites. Et l’arbre agricole permettrait de compléter la production sylvicole et de protéger un climat bien fragile en France. 

La végétalisation provoque l’effet inverse de celui des coupes rases, il est temps de s’y mettre !

Sauver les forêts de Méditerranée

Les calculs de Jean Pain sauveraient-ils la forêt méditerranéenne ?

Aujourd’hui, lorsqu’on parle d’un  “Jean Pain”, on désigne un compost utilisé pour chauffer de l’eau, une serre ou une table de semi.

Jean Pain est un forestier du sud de la France né en 1928. Il est connu pour sa promotion du compost de broussaille. Ses techniques, recueillies par son épouse dans un ouvrage à compte d’auteur, ont connu un écho important dans les années 1970 car elles résonnaient avec la prise de conscience de la dépendance aux énergies fossiles.

Dans cet ouvrage, il détaille de nombreuses techniques pour produire de l’énergie et de la fertilité à partir des broussailles et ainsi faire de la nécessaire prévention des incendies un levier pour la restauration de la forêt méditerranéenne. 

Comment cela fonctionne ?

La forêt est découpée en parcelles de 320 hectares qui sont nettoyées 3 fois en 24 ans.

Le nettoyage consiste à couper la végétation sous-arbustive, élaguer les basses branches, recéper et éclaircir pour éviter la propagation du feu.

Le chantier progresse de 40 hectares non concomitant tous les ans. 

Ainsi la biodiversité qui s’est réfugiée dans les parcelles adjacentes sera laissée tranquille l’année suivante.

La valorisation de 10 kg de broussaille par les methodes Jean Pain est la suivante : 

  • 8.5 kg de compost
  • 2 m3 de biogaz
  • de l’énergie thermique qui peut-être utilisée pour chauffer de l’eau, des serres ou produire de l’électricité

La technique de méthanisation de Jean Pain est beaucoup plus partielle que celle qui se pratique aujourd’hui. Elle évite également l’écueil d’une phase aqueuse qui est souvent problématique. Ainsi, son compost de broussaille est très différent du digestat sorti des méthaniseurs modernes. Toutefois, en considérant comme Jean Pain qu’une parcelle de 320 hectares produit 1600 tonnes de broussailles tous les ans, la vente de l’énergie produite permettrait probablement aux forestiers d’en vivre.

La moitié, voire la totalité du compost, est utilisée pour créer du sol humifère et restaurer les forêts, l’énergie est utilisée pour rentabiliser le projet. Ainsi l’entretien des forêts n’est plus une charge.

Quand on sait que la région méditerranéenne est un des espaces les plus menacés par la désertification (voir notre post sur les travaux de Millàn Millàn), la mise en œuvre d’un vaste projet de régénération de ses forêts apparaît comme une évidence. Il est critique de préserver et renforcer toutes les forêts côtières et leurs fonctions hydrologiques.

Le projet de l’autoroute de la pluie, en entendant développer l’agroforesterie pour substituer notamment une partie des prélèvements en bois forestiers par du bois agricole, est donc complémentaire de la régénération des forêts méditerranéennes.

L’illustration provient du formidable outil de @l’IGN “Remonter le temps”, et porte sur l’urbanisation côtière au sud du Massif des Maures.

Sans oiseaux, les plantes vont-elles continuer à pousser ?

Il y a quelque temps, le biologiste Ernst Zürcher (Forêts aux éditions La Relève et la Peste, 2022) interrogeait le fait que certains arboriculteurs utilisent la diffusion de chants d’oiseaux pour stimuler la croissance des arbres. Cet engrais acoustique, comme il le nomme, provient de l’effet de certaines fréquences sur l’ouverture des stomates (l’organe qui permet les échanges gazeux). Ce phénomène, lié au calcium, est décrit dans une étude de l’université de San Diego parue dans science en 2000 (Alteration of Stimulus-Specific Guard Cell Calcium Oscillations and Stomatal Closing in Arabidopsis det3 Mutant) [1].

Il est aussi établi que la musique (classique) a un effet positif sur la germination des graines de laitues. Aujourd’hui, une étude australienne montre qu’on peut multiplier par cinq le rythme de croissance des champignons mycorhiziens en les soumettant en permanence à un son de 8khz et 80 db. Or la bibliographie abonde pour mettre en évidence le rôle fondamental des mycorhizes sur la croissance et la santé des plantes

Que faut-il en conclure ?

Vous trouverez beaucoup de références à ces études, toujours présentées positivement, comme un émerveillement sur la grandeur du vivant, par des articles qui ont l’ambition de donner envie aux lecteurs d’aimer la nature, de la protéger, de la comprendre, voire d’appréhender son aspect vibratoire.

Mais plus prosaïquement, on pourrait se dire que la chute des populations d’oiseaux et les impacts de la pollutions sonores anthropiques qui les contraint à modifier leurs chants (hifting song frequencies in response to anthropogenic noise: a meta-analysis on birds and anurans), le bouleversement de l’espace sonore, a des conséquences sur le monde végétal qu’il est difficile d’estimer.  On a souvent entendu que, sans abeilles, l’humanité mourrait de faim. Se pourrait-il que sans oiseaux, elle meurt de chaud ?

Le projet de l’autoroute de la pluie et ses 40 arbres par hectare, c’est aussi des perchoirs, des endroits pour nicher, un pied dans la porte pour redonner sa chance au vivant.

L‘image provient de Wikipedia.

La pluie ne connait pas les frontières politiques

🌧️🇨🇳 La pluie en Chine dépend-elle de la façade Atlantique française ? 🇫🇷🌳


Les écosystèmes sont interdépendants. La pluie n’a que faire de nos frontières politiques.

Ainsi, l’étude “Origin and fate of atmospheric moisture”, de Rudi J. van der Ent et al., parue en 2010, examine les dynamiques de l’humidité atmosphérique afin de comprendre dans quelle mesure les précipitations continentales dépendent du recyclage de l’humidité.

Ainsi, “l’humidité qui s’évapore du continent eurasien est responsable de 80 % des ressources en eau de la Chine. En Amérique du Sud, le bassin du Río de la Plata dépend de l’évaporation de la forêt amazonienne pour 70 % de ses ressources en eau. La principale source de précipitations dans le bassin du Congo est l’humidité évaporée sur l’Afrique de l’Est, en particulier dans la région des Grands Lacs. Le bassin du Congo, à son tour, constitue une source majeure d’humidité pour les précipitations au Sahel.

On le voit, les interdépendances sont multiples à l’échelle globale et le cycle de l’eau dépend étroitement du recyclage des précipitations continentales. Compte-tenu de l’importance de la végétation dans le processus de recyclage des précipitations, on comprend aisément que les projets de boisement et de restauration écologique dans une région donnée vont impacter directement la pluviométrie de zones plus ou moins proches. Et a contrario, modifier massivement l’usage du sol (c-a-d raser des forêts, retourner des prairies permanentes ou drainer des zones humides) aura des impacts critiques dans des zones situées sous le vent.

La carte illustrant ce post, issue de l’étude, démontre ce caractère critique pour une grande partie de l’Amérique du Sud, mais surtout pour l’est de l’Eurasie. Ainsi, la Mongolie, pays fortement enclavé, dépend presque entièrement du recyclage des précipitations.

Peut-être serait-il temps que les États se saisissent de ce sujet de manière transnationale. Plusieurs grandes agences de l’ONU sont déjà sensibilisées à ces interdépendances, mais il est souhaitable qu’une agence dédiée soit créée pour gérer cette thématique, où considérations locales et globales sont en étroite dépendance.

L’Autoroute de la Pluie s’affaire à médiatiser ce sujet, à marteler l’importance de la photosynthèse pour éviter les sécheresses. Nous souhaitons participer à déployer des corridors végétaux à large échelle pour renforcer les réseaux de recyclage de l’humidité atmosphérique.

Pour cela, nous avons besoin de toutes les forces vives. Pensez-vous qu’une telle approche, profondément proactive et positive, peut voir le jour rapidement ?

Amélioration de la disponibilité en eau grâce au boisement

📖🌳 Une étude parue en janvier 2024 s’intéresse à la manière dont le boisement permettrait de soutenir la dynamique des pluies. 🌳🌧️

Les scientifiques prennent de plus en plus en compte l’impact de la végétation sur la disponibilité en eau et l’étude “Targeted rainfall enhancement as an objective of forestation” dresse un panorama de ces recherches.

Les auteurs, Arie Staa, Jolanda Theeuwen, @Nico Wunderling, @Lan Wang-Erlandsson et Stefan Dekker, sont pour la plupart en poste aux Pays-Bas, un pays en pointe dans la compréhension des interactions entre végétation et précipitations. Ces capacités néerlandaises en génie écologique s’expliquent probablement par l’histoire de ce pays qui s’est construit largement sur la mer.

Les chercheurs développent le concept prometteur de “TRE” pour “targeted rainfall enhancement” (“amélioration ciblée des précipitations”), précisant qu’ils vont “plus loin que la littérature existante en arguant que – en plus d’autres considérations telles que les effets sur la biodiversité – il commence à devenir possible de prendre délibérément en compte les effets non locaux, spatialement explicites, du reboisement sur les précipitations dans la priorisation holistique du reboisement. et les évaluations de la vulnérabilité au changement climatique à l’échelle mondiale.”

Cette position fait écho à notre approche. Nous espérons d’ailleurs faire caisse de résonance sur ce sujet, pour que décideurs politiques et économiques prennent en compte la biosphère et cessent de penser qu’on peut compenser à court terme en plantant ici ce qu’on rase par là.

Plusieurs grands enseignements ressortent de cette étude exhaustive.

🌧️ Un suivi des réseaux de recyclage de l’humidité est nécessaire pour comprendre la complexité du cycle de l’eau, notamment la condensation. Il est rendu possible par les améliorations récentes du suivi de l’humidité atmosphérique à des échelles fines.

🌳 La plantation d’arbres peut être utilisée pour améliorer les précipitations locales, en plus de son impact à l’échelle non locale

🌿 Des corrélations positives ont été mises en lumière entre l’indice de surface foliaire cumulé (LAI) et précipitations

🌍 Le verdissement récent constaté sur la surface terrestre a déjà entraîné une légère augmentation annuelle de l’apport en eau (voir l’étude)

🏞️ L’augmentation massive des forêts ne doit pas se faire au détriment des écosystèmes indigènes qui fonctionnent, tels que les prairies naturelles et les zones humides

Enfin, et surtout, un ciblage des régions du globe les plus propices à ce type de projet est proposé : le sud et l’ouest de l’Amazonie, le Mexique, l’est de la Chine et l’Europe méditerranéenne.

La zone que cible prioritairement l’Autoroute de la Pluie se situe à la confluence de deux réservoirs importants d’humidité, l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. Elle offre donc un potentiel important pour renforcer les réseaux de recyclage de l’humidité atmosphérique. Cela constitue donc une base stratégique avant d’étendre lesdits réseaux en Europe et sur la rive Sud de la Méditerranée.

Agroécologie, la Suisse n’en fait pas tout un fromage

Dans une conférence sur la compaction donnée en décembre 2023 au Centre National d’agroécologie, Lionel Mesnage ne tarissait pas d’éloges sur l’avance de la Suisse en matière de pratiques agricoles. Encore une fois et sans surprise, cela est lié à quelques décisions politiques judicieuses, prises au bon moment.

Dans les années 80 les États décident, au travers de l’OMC, de l’ouverture des marchés agricoles. Cette ouverture se fait principalement au profit des agricultures européennes et américaines, largement subventionnées. Au même moment, la Nouvelle-Zélande prend le contrepied avec l’abolition totale des subventions en 1984, dans le cadre des réformes de la Rogernomics, accompagnée d’une déréglementation quasi totale et d’un coût social exorbitant (When the Farm Gates Opened: The impact of Rogernomics on rural New Zealand Broché – Neal Wallace).

Il faut attendre 1992 et le Sommet de la Terre de Rio, pour qu’un large consensus émerge sur la nécessité de soutenir financièrement les agriculteurs en anticipation de la baisse des prix agricoles dans des marchés libéralisés. 

Si, dans l’Union Européenne cela conforte la PAC, la très protectionniste Suisse prend un chemin un peu différent. Contrainte par l’OMC d’ouvrir ses marchés, la Suisse abandonne la politique de “subventionnement et de prise en charge garantie de la production” et décide d’établir sa politique agricole autour de trois objectifs :

🧀 produire durablement 

🦋 entretenir le paysage rural

🇨🇭 occuper tout le territoire

Cela se concrétise par des paiements soumis à la réalisation des Prestations Écologiques Requises (PER) [voir agripedia et voir Office fédéral suisse de l’agriculture] qui comporte une quinzaine d’exigences  mais aussi par le financement de la formation, de la recherche participative, et de projets ciblés. Mais c’est surtout, la constitution de réseaux écologiques et paysagers sur de petits territoires qu’il faut retenir.

Car, au-delà des points techniques, ce qui permet à la Suisse d’avancer bien plus vite que ses grands voisins dans le cadre de l’agroécologie, c’est sans doute l’échelle à laquelle sont prises et appliquées les décisions.

Illustration tirée de l’album “Les douze travaux d’Astérix”, l’enfer administratif de la maison qui rend fou, illustre bien la complexité de la PAC européenne en regard des 20 pages du PER Suisse.

Comment le boisement génère des nuages

🌲🌳 L’augmentation du boisement augmenterait sensiblement la couverture nuageuse de basse altitude, ce qui pourrait aider à refroidir la planète.☁️🌧️

Selon les résultats d’une étude, “pour 67 % des zones échantillonnées à travers le monde, le reboisement augmenterait la couverture nuageuse de basse altitude”, ce qui aurait des conséquences positives sur le cycle hydrologique et le climat.

Parue en 2021, l’étude “Revealing the widespread potential of forests to increase low level cloud cover” menée par Grégory Duveiller, Federico Filipponi, Andrej Ceglar et al. se base sur des observations de télédétection par satellite. Cette méthode vient compléter utilement les modèles climatiques, qui ne parviennent pas toujours à restituer la complexité des interactions terre-atmosphère, notamment pour comprendre la formation des nuages.

Selon les chercheurs, “les recherches suggèrent que, grâce à une rétroaction entre la génération des nuages ​​et son effet ultérieur sur le rayonnement entrant, les forêts ont tendance à favoriser l’établissement d’un équilibre entre les tendances de la température et de l’humidité, garantissant ainsi la pérennité de ces conditions de formation des nuages.” 

Dit autrement, les espaces forestiers créent et auto-entretiennent les conditions favorables à un ennuagement conséquent (voir notamment pour le lien entre climat et nuage notre post sur la répartition des nuages sur terre).
D’autres résultats de l’étude sont particulièrement instructifs :

➡️Les boisements ont tendance à augmenter davantage la couverture nuageuse d’une région durant sa période la plus chaude. Compte tenu des conditions extrêmes que nous vivons désormais l’été, ceci doit retenir l’attention de tous.

➡️ Moins intuitif: certains types de forêts de conifères auraient des effets plus importants sur la formation de nuage de basse altitude, ce qui viendrait contrebalancer une évapotranspiration plus faible que celle des feuillus. Les recherches sur ce sujet continuent et promettent des résultats passionnants.

Adoptant une attitude volontariste, les chercheurs appellent à ce que ces résultats soient utilisés par les décideurs politiques afin de concevoir et déployer d’ambitieuses politiques d’atténuation grâce à des solutions fondées sur la nature.

Ce dernier point fait tout particulièrement écho au projet de l’Autoroute de la Pluie. En effet, il est urgent de déployer partout où cela est possible des projets basés sur les services écosystémiques. Et comme il est nécessaire de conserver des terres cultivées, le déploiement à grande échelle de l’agroforesterie est vital pour protéger les sols et atténuer les extrêmes climatiques.

On a coutume de dire que le climat fait la plante mais ne devons-nous pas prendre l’habitude de dire que la plante fait le climat?

En agroécologie, la croissance c’est les plantes !

Dans un post précédent, nous avons vu que l’un des deux marqueurs d’une transition agroécologique est la capacité d’un système à fonctionner avec de moins en moins d’interventions, autrement dit de moins en moins d’apports énergétiques : l’autonomie.

Idéalement, un agroécosystème ne consomme qu’une partie de l’énergie qu’il capte par la photosynthèse et stocke le reste sous forme de matière organique et de sucres.

Or, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’indicateur de vitalité économique est fondé sur la croissance du PIB. Cela pose deux problèmes :  

💡 La croissance est une fonction exponentielle. L’effort nécessaire pour faire  1%  de croissance annuelle double 2 fois en 200 ans. Celui pour 3 % double 7 fois. A 10 %, c’est 24 fois.

💡 Selon la façon dont est calculé le PIB (PIB = Dépense de consommation finale  + Formation brute de capital + Exportations – Importations), les activités de négoce, de finance et le déstockage peuvent avoir un rôle plus important que la production.

Mais le point qui pose surtout question, c’est la corrélation qui existe entre le PIB et la consommation d’énergie, en particulier fossile (voir à ce propos l’illustration de l’article du shift project). Cette idée se retrouve dans l’identité dite de Kaya (formulée par l’économiste Yoichi Kaya en 1993) qui permet d’exprimer l’intensité carbone du PIB.


Concrètement, installer 1 Mwh de panneaux photovoltaïques va fabriquer plus de PIB que de planter 1 Mwh de Miscanthus. C’est évidemment un problème pour l’agroécologie. Selon les termes de la comptabilité nationale, la biodiversité, la durabilité, l’aggradation des écosystèmes, la contribution au climat et à l’eau propre n’ont pas de valeur. 

Est-ce que cet effet comptable est une cause ou une conséquence ? Les tenants d’une comptabilité écologique pensent qu’il faut intégrer le poids du prélèvement sur les écosystèmes dans notre système comptable.

Ainsi Harold Levrelet  Antoine Misseme  dans “L’économie face à la nature. De la prédation à la coévolution”, élaborent la notion de dette écologique. 

D’autres estiment que cet aspect comptable n’est que le reflet d’un système de production  fondamentalement prédateur (voir par exemple “extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances” de Anna Bednik). Les deux approches n’étant d’ailleurs pas forcément contradictoires. 

Notre but ici n’est pas de trancher cette question, mais simplement de montrer que la croissance telle qu’elle s’envisage aujourd’hui dans ses modalités et dans son rôle est un obstacle majeur au développement de l’agroécologie.

Qu’est-ce que la battance ?

Les sols sont secs car ils sont étanches (et pas l’inverse).

Lorsque les constituants du sol sont soumis directement à la pluie, ils forment une couche de perméabilité très faible. Le sol ainsi réorganisé sera dit battu.

Selon les principes de la sédimentation, les feuillets d’argile arrivent en surface. Et comme le feraient des tuiles, ils créent une structure étanche et homogène.

La battance est accentuée par le sol nu. Les plantes offrent une protection qui brise l’inertie des gouttes et protège le sol. Un paillage peut jouer le même rôle.

Par contre lorsque le sol est laissé nu, l’impact des gouttes est fatal (d’autant plus que le soleil à pu cuire l’argile en surface et consolider la structure).

Tous les sols ne sont pas égaux face à la battance. Pour caractériser un sol, on évalue sa proportion d’éléments minéraux par type de granulométrie. Combien y a-t-il d’argile, de limons, de sable et de gravier ? Cette composition détermine la sensibilité à la battance. Mais pas uniquement.

Dans un sol, la matière organique lie les différents éléments. S’il n’y a plus de matière organique dans le sol, si les particules sont libres, et que les gouttes les frappent, il peut alors se réorganiser selon les principes de la sédimentation. Les grosses particules se trouveront au fond, celles de taille intermédiaire juste au-dessus et l’argile en surface. L’eau ne peut alors plus s’infiltrer et le sol meurt.

Ce phénomène est à l’origine de nombreux épisodes de désertification et de réchauffement. Des sols secs sur lesquels rien ne pousse n’attirent plus la pluie. Le climat se réchauffe et se dessèche. L’aridité s’installe.

Il est aisé et urgent, de s’en prémunir. Une des premières stratégies mise au point par la nature est de couvrir les sols. La nature met aussi en place une porosité qui assure le drainage. L’activité biologique offre des colles, notamment la glomaline, qui assure une grande stabilité des agrégats.

Observez l’un des nombreux “soil stability test” sur youtube, vous comprendrez que derrière ce drame s’en cache un autre : l’érosion. La disparition des couches arables ne fait qu’accroître le phénomène. D’ailleurs comme le dit Gérard Ducerf, l’érosion est le prémisse à la désertification.

Trois points d’attention :

🌿 Les couverts d’interculture ne doivent pas être simplement considérés sous l’angle des nitrates. Protéger les sols de la battance et de l’érosion est essentiel pour avoir de l’eau et un climat aussi acceptable que possible.

💻 La prise en compte des propriétés des sols dans les modèles climatiques nous semble trop statique. L’humidité des sols issue des réanalyses (données Era5) est souvent très éloignée des observations de terrain.

🧪 Ces questions sont absentes du débat actuel sur le désherbage mécanique, qui casse pourtant la continuité des galeries et oxyde la matière organique de surface, au même titre que d’autres méthodes, notamment chimiques.

Définir l’agroécologie

Qu’est-ce que l’agroécologie ?

Dans notre post sur la Grande muraille verte, nous avons vu comment la plantation d’arbres a été remplacée par la régénération naturelle. Cette substitution est l’exemple typique d’une mutation agroécologique.

L’agroécologie est apparue dans les années 70 en Amérique latine chez des fermiers qui cherchaient une alternative à l’agronomie de la révolution verte. Elle est formalisée une première fois en 1983 dans 📗 “L’agroécologie – Bases scientifiques d’une agriculture alternative” de l’universitaire Miguel Angel Altieri.

Ce livre, qui éclaire les savoirs paysans traditionnels à l’aune des connaissances modernes en écologie appliquée, prône d’emblée une approche systémique. La production agricole n’est plus un processus industriel linéaire mais un système cyclique dont on exporte l’excédent. Ce qui amènera Charles A Francis à définir l’agroécologie comme l’écologie des systèmes alimentaires.

Si du point de vue scientifique, le concept est parfaitement défini, du point de vue technique et politique c’est beaucoup moins clair. En général l’agroécologie est confondue avec la Bio.

La définition du Ministère de l’Agriculture français est d’ailleurs assez proche des objectifs de la Bio telle que définie dans la législation européenne.

Mais la réalité du Bio est bien plus diverse que ses intentions. Pour aborder cette question, nous recommandons cette intervention de Mulet François, fondateur du réseau Maraîchage Sur Sol Vivant, certes polémique mais qui a le mérite de poser le débat.

De plus, si l’agriculture se met à produire massivement des matériaux, de l’énergie et, comme nous le souhaitons, de l’eau propre, du climat, si les villes prennent leur part, une définition de l’agroécologie qui aille au-delà de la question alimentaire nous semble nécessaire.

En apportant un soin particulier aux espèces végétales dans leurs diversités, leurs omniprésence et le cortège de leurs compagnons (la biodiversité), l’agoécologue complexifie le milieu afin que les services écosystémique puissent se substituer aux interventions humaines.

Ainsi défini le concept a une dimension universelle. L’agroécologie, c’est remplacer l’intervention par le service écosystémique.

Cela a directement deux conséquences :

⚡ réduction directe ou indirecte de la consommation d’énergie

🌿 aggradation des écosystèmes

D’où deux indicateurs, les dépenses d’intrants et la photosynthèse, qui permettent de déterminer si une mutation agroécologique est en cours sur un lieu donné. Par exemple, dans le cas du Sahel, avec une baisse des importations de céréales et un verdissement important, on peut tout à fait affirmer qu’on est sur le bon chemin !

Illustration : le domaine agroécologique des Peyrounels dans le Tarn : plantes prairiales pérennes, annuelles, boisement jeune et ancien sur un même lieu.

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