L'Autoroute de la pluie

Initiative de réappropriation climatique

L’état des sols européens

Une récente étude vient objectiver la dégradation des sols agricoles en Europe. Et la situation n’est pas brillante !

A l’heure où les mesures volontaristes impulsées depuis quelques années (loi Zéro artificialisation nette en France, Green Deal européen, entre autres) font l’objet d’une fronde grandissante, il est urgent de faire front commun pour sauver nos sols.

Si, au sein du collectif l’Autoroute de la Pluie, nous avons l’habitude de promouvoir des solutions plutôt que de susciter la peur, il est également crucial d’insister sur l’urgence de la situation.

L’étude intitulée A unifying modelling of multiple land degradation pathways in Europe a été publiée en mai 2024. Fruit du travail d’une équipe internationale de 16 scientifiques, cette étude ambitieuse parue sur Nature Communication, portant sur 40 pays du continent européen, analyse la situation des terres agricoles et arables selon 12 indicateurs de dégradation.

Les facteurs de dégradation des sols étudiés sont :
érosion hydrique, érosion éolienne, perte de carbone organique, salinisation, acidification, compaction, déséquilibre de la teneur en nutriments, pollution aux pesticides, pollution aux métaux lourds, dégradation de la végétation, déclin des eaux souterraines et aridification.

🧪Sans surprise, la pollution aux pesticides est la problématique la plus répandue en Europe.

🚨Selon l’étude, jusqu’à dix processus de dégradation peuvent coexister dans certaines régions, indiquant une situation de multi-dégradation intense.

🔥Plusieurs points chauds sont identifiés, c-a-d des pays concentrant un nombre élevé de facteurs de dégradation des sols : Espagne, Italie, Grèce, Hongrie et France. Le pourtour méditérannéen est extrêmement touché.

En France, la situation est préoccupante pour plusieurs aspects, surtout pour la pollution aux pesticides, les déséquilibres en nutriments des sols (nitrates) et la pollution aux métaux lourds. L’aridification menace le pourtour méditeranéen et fait une incursion dans le Sud-Ouest, aux abords de la zone ciblée pour établir l’Autoroute de la Pluie.

Cette même zone se caractérise par une forte érosion hydrique. Les sols lessivés perdent ainsi leur potentiel, alors qu’ils étaient initialement particulièrement fertiles (voir à ce sujet le post sur le reverdissement du Plateau de Loess, berceau de l’agriculture en Chine, qui avait été presque complètement érodé).

L’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période 2021-2030 “Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes”, avec pour objectif d’atteindre la neutralité en matière de dégradation des terres d’ici 2030. Face aux reculs récents en la matière, on voit qu’il est plus que jamais nécessaire de se mettre à l’ouvrage.

A la façon des lobbys économiques, tous les acteurs soucieux de préserver les sols et des conditions de vie décentes devraient s’unir pour infléchir les politiques.

Le mur évolutif selon Marc-André Selosse

Image : diversité des céréales à paille (Inrae A.Didier E.Boulat)

Nous construisons un mur que nous ne saurons pas franchir. 

Marc-André SELOSSE a présenté son livre « Nature et préjugés, Convier l’humanité dans l’histoire naturelle » (Actes Sud). Il y disserte sur nos idées reçues concernant la nature et notamment l’évolution.

Ça été l’occasion d’évoquer l’utilisation des mécanismes de mutation et de sélection naturelle comme un outil ; sujet qu’il avait déjà abordé il y a 3 ans lors d’une conférence pour AgroParisTech [voir l’intervention]. Il montre comment la trithérapie (combinaison de plusieurs drogues) dresse un mur adaptatif pour le virus du VIH. Le virus est incapable de s’adapter à la diversité des réponses (à l’inverse de ce qui se passe avec les antibiothérapies).

Ainsi, cette question, de la diversité que nous avons souvent traité sous l’angle de la résilience climatique et hydrique du territoire, devient aussi une question sanitaire. Dans les paysages divers et complexes, la portée des évènements sanitaires est fortement limitée. Bien sûr des catastrophes, comme la Pyrale du buis ou la Chalarose du frêne peuvent encore se produire, mais cette prophylaxie de la diversité est une stratégie gagnante. D’ailleurs elle fait l’objet de pratiques agricoles très répandues :

🌀 rotation des cultures

🌳 haies de séparation

🏁 agencement du parcellaire

🍹 utilisation de mélanges variétaux ou de population

💪 sélection de variétés résistantes aux maladies cryptogamiques (cépages resDUR de l’INRAE par exemple).

Toutefois, malgré ces exemples, la stratégie du vide et de l’uniformité (ce qu’on appelle la biosécurité) reste prégnante en santé animale, humaine et végétale.

🐮 L’intervention des vétérinaires Coralie Amar et Lucile Brochot au PIM 2022 illustre ce concept et ses limites appliqué à l’élevage).

Or, comme le fait si justement remarquer Marc-André SELOSSE si nous ne sommes pas doués pour utiliser l’évolution à notre avantage, la grande diversité des nouvelles molécules (pfas, microplastiques, pesticides, métaux lourds …) que nous dispersons dans l’environnement est en train de construire un mur d’adaptation que nous ne saurons franchir. La baisse drastique de la fertilité, l’augmentation de 300 % des allergies alimentaires en 20 ans et l’explosion des problèmes de santé systémiques  comme le diabète, l’asthme ou l’autisme, sont sans doute autant les signes annonciateurs de ce qu’il faut bien appeler l’inadaptation de l’homme à son milieu.

Considérer l’évolution comme un mouvement auquel on participe et non comme un phénomène exogène, considérer notre place dans les écosystèmes parfois lointain desquels on extrait notre nourriture et nos matériaux, voila une des leçons de 📚 Nature et préjugés.

L’impact climatique du mode d’occupation des sols

Bon nombre de recherches démontrent que les modes d’occupation des sols impactent fortement le climat. Malgré que ce constat soit progressivement compris, il tarde à infuser dans les politiques d’aménagement du territoire. On peut ainsi se demander pourquoi une approche systémique n’est pas adoptée pour maximiser l’impact d’une gestion vertueuse des sols.

L’étude Land use still matters after deforestation, publiée en 2023 par des chercheurs, majoritairement brésiliens, décrypte les impacts de la déforestation et des modes d’usages des sols en Amazonie et dans le Cerrado. L’étude porte sur le Brésil mais, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, on se doit d’évaluer avec attention ces impacts en Europe occidentale. L’étude se concentre sur l’évaluation de l’utilisation des zones déboisées depuis les années 1970, alors que la surface de culture de soja, par exemple, y a décuplé entre 2000 et 2019.

🌡️Il en ressort que la conversion de forêts en terres agricoles (légumineuses et céréales), cultivées de manière conventionnelle, peut entraîner une augmentation de la température de surface trois fois plus élevée que la conversion en pâturages.

🌥️ Cela est dû au fait que la gestion intensive des terres réduit la transpiration des plantes et provoque des changements dans l’équilibre énergétique de la surface. Ceci est clairement représenté dans l’illustration du post, où certains sols de cultures céréalières atteignent 55° c.

☀️En outre, l’expansion des terres cultivées et la création de grandes zones déboisées continues peuvent réduire considérablement les précipitations, par la perturbation du cycle de l’eau. La limite de déboisement pour ne pas enclencher ce cycle est estimée à 10 km2.

Les auteurs recommandent l’adoption de l’agroforesterie et de l’agriculture syntropique pour cultiver les zones défrichées. Plus généralement, la stratification des écosystèmes et l’introduction de l’arbre dans le système agricole sont plébiscités.

La mention de la syntropie fait écho à notre série de posts sur cette approche particulièrement adaptée aux enjeux du dérèglement climatique et de l’érosion brutale de la biodiversité ( voir [3, 4 et 5]). L’agroécologie atténuerait sensiblement les impacts de la déforestation.

Les auteurs préconisent également de travailler étroitement avec le secteur agricole, “et non contre lui. Il est peu probable que le fait de pointer du doigt aboutisse à des progrès.  Cette étude est donc particulièrement d’actualité, tant les débats sur la question agricole sont polarisés.

Le projet de l’Autoroute de la Pluie s’inscrit dans une perspective similaire. N’est-il pas urgent de réintroduire de la stratification dans nos systèmes agricoles, tout particulièrement céréaliers ? Pour cela, notre collectif œuvre à la construction d’un corridor agroforestier dans le Lauragais. Nous avons besoin de toutes les énergies pour le faire advenir et pour replacer la photosynthèse au cœur de nos psychés.

Landrace Gardening – pour une horticulture variée et robuste

Illustration les melons de Joseph Lofthouse.

En botanique, une espèce  compte souvent plusieurs variétés. Par exemple, pour  la tomate (Solanum lycopersicum) 🍅, il y a la tomate cerise 🍒(cerasiforme) et la tomate à gros fruits (esculentum). 

Mais souvent, dans une acception plus générale, le terme de variété est utilisé pour désigner une forme plus précise aux caractéristiques réputées uniques, (Cœur de Boeuf, Marmande, Green Zebra). C’est ce qu’on appelle un cultivar.

Un cultivar a été sélectionné et stabilisé afin de posséder des propriétés (goût, productivité, couleur, résistance aux maladies) constantes. Il est reproduit selon des modalités précises qui dépendent essentiellement de l’espèce.

A l’inverse des cultivars, il y a les variétés “population” qui sont obtenues par sélection massale. Autrement dit, au lieu de s’assurer de conditions strictes donnant un résultat reproductible, le fermier obtient sa semence à partir des parties de sa récolte qui lui semblent les plus prometteuses.

Le chimiste et maraîcher Joseph Lofthouse, raconte dans “Landrace Gardening: Food Security through Biodiversity and Promiscuous Pollination” comment il a utilisé la sélection massale pour obtenir des melons dans un contexte pédoclimatique totalement défavorable. Vous pouvez également retrouver ces expériences sur la chaîne youtube Landrace Gardening ou sur le site Going to seed, qui fédère un réseau d’échange de graines et des ressources pour se former.

Sa technique consiste à planter un grand nombre de variétés (pour les melons, plus de trente) et à favoriser l’hybridation de proximité. Puis à simplement utiliser les graines issues des plantes qui lui ont donné satisfaction. Et comme il fait l’inverse de ce qui est habituellement préconisé, il obtient l’inverse du résultat habituel : une production d’une grande variété de formes, goûts et couleurs.

Pour l’Autoroute de la Pluie, cette approche à base de diversité ouvre une porte de plus dans la palette des solutions fondés sur la nature. Pour peu qu’on sache admettre qu’on n’aura pas un melon de Cavaillon quand on est dans les montagnes de l’Utah.

Les cultures bioénergétiques pourraient refroidir le climat mondial

🌿🌳 Le développement massif des cultures de plantes pérennes permettrait de refroidir sensiblement le climat mondial 🌦️🌧️

L’étude Global cooling induced by biophysical effects of bioenergy crop cultivation, parue en 2021, évalue l’impact climatique des cultures bioénergétiques (ou “Bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone”). Elle a été réalisée par une équipe de dix chercheurs issus d’universités prestigieuses, dont le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement de Paris Saclay, l’Institut Pierre-Simon Laplace et des universités chinoises.

Précisions que la généralisation de cultures dédiées aux biocarburants ne nous paraît pas souhaitable, tant ceux-ci s’inscrivent dans la fuite en avant qui caractérise certains acteurs pour faire face à la profonde crise écologique. Tout l’intérêt de l’étude réside dans l’analyse de l’impact de l’extension de cultures de plantes pérennes, dont les racines sont préservées.

Les chercheurs ont produit cinq scénarios, sur 50 ans, pour des cultures étendues sur 466 millions d’hectares (sur environ 5 milliards d’hectares agricoles dans le monde) répartis entre 38 ° S et 60 ° N. Les effets du développement de quatre types de culture ont été simulés. Les cultures ligneuses (eucalyptus et peuplier/saule) ont un effet rafraîchissant plus fort que les cultures herbacées (miscanthus et switchgrass, ou millet vivace), car elles libèrent plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère et ont une résistance aérodynamique plus faible.

Selon les scénarios, les impacts sur la température varient de -0,08 °C à +0,05 °C (ce chiffre résulterait du remplacement de forêts par du millet vivace). En plus d’affecter la température locale, les cultures bioénergétiques pourraient également influencer la température dans des zones éloignées grâce à la circulation atmosphérique. Ainsi, les effets pourraient être localement contrastés. Les chercheurs appellent à de nouvelles études pour estimer les effets biophysiques du développement de telles cultures.

Malgré la grande qualité de l’étude, il nous semble qu’un élément décisif n’est pas modélisé : l’impact de racines pérennes pour la situation hydrique et leurs répercussions climatiques. En effet, l’étude se base sur un modèle physique atmosphère-terre-océan-glace de mer (avec l’impact du cycle du carbone et de la chimie stratosphérique). Les interactions entre plantes et climat sont nombreuses et les bénéfices d’un redéploiement massif des plantes pérennes pourraient excéder ceux envisagés ici. 

L’autoroute de la pluie s’attelle à la fois à favoriser le déploiement de corridors d’humidité par le secteur agricole et à rendre désirable la généralisation de cultures de plantes pérennes, partout, tout le temps. Pour ce faire, l’agroécologie et l’agroforesterie sont des vecteurs cruciaux. En plus d’avoir des impacts bénéfiques sur le climat, la biodiversité et la résilience des exploitations agricoles, ils ont le mérite d’embellir grandement nos paysages.

Comprendre la syntropie 3 : Quelles ressources pour commencer ?

Nous avons essayé de présenter dans deux précédents articles des notions que l’agriculture syntropique met en œuvre. Elles peuvent sembler éloignées du sujet principal qui est d’installer et de faire prospérer des plantes pour répondre à nos besoins.

Mais cette entrée en matière par le champ scientifique nous a semblé nécessaire parce que l’agriculture syntropique découle d’une compréhension du monde, issue non pas de la physique newtonienne qui nous est si familière, mais d’une vision thermodynamique encore éloignée de nos canons de perception. Admettre l’irréversibilité, comprendre que le tout n’est pas égal à la somme des parties, penser les systèmes en termes de flux est et de dissipation échappe complètement au canons des techniques de production. Lorsqu’un tracteur travaille, qu’est-ce qui part en chaleur ? qu’est-ce qui le fait avancer  ? Toutes ces questions ne sont sûrement pas neuves. Elles datent de la machine à vapeur. Pourtant tous nos indicateurs clés comme le rendement ou le PIB sont établis comme si l’expérience de production était reproductible à l’infini, comme si le monde était constant. 

N’oublions pas toutefois que la syntropie ce sont avant tout des fermes. Celle de Ernst Gotch au Brésil, celle des Magawits en France, et bien d’autres de part le monde, expérimentent dans le domaine agricole. Il y a beaucoup de témoignages, de formations, de partages d’expérience. Notamment grâce au travail didactique d’@Opaline. Toutefois, si ces témoignages sont utiles, il manquait un ouvrage de référence. C’est chose faite avec la parution de  Bienvenue en syntropie de Théry Analële (préface de Opaline Lysiak, coédition Joala Syntropie et Terre vivante).

L’auteure y partage son expérience d’adaptation des techniques développées par Ernst Götsch en milieu tempéré. Le cheminement du livre nous amène de la théorie à la pratique de façon très imagée et ludique. Si cela rend la lecture facile et agréable, ces deux aspects auraient peut-être pu être plus incarnés afin d’être mieux questionnés : une sorte de dialogue socratique entre un philosophe et un paysan ? Car la syntropie telle que nous la comprenons place la science au cœur de l’élaboration du processus technique. Notons d’ailleurs qu’une réflexion similaire a amené le philosophe Bernard Stiegler à inventer les Territoires Apprenant Contributif, un projet de développement économique néguentropique.

Au-delà de cette remarque, le livre est d’un apport théorique et pratique inestimable et va bien au-delà de la palanquée de PDF qu’on peut trouver sur internet et qui manquent cruellement de concret. Quand on s’intéresse à la production végétale, la qualité des itinéraires décrits et des pistes explorées ouvre des possibilités d’expérimentation et de design infinies. 
Pour clore cette présentation de la syntropie, citons le mot de Théry Analële : “La syntropie n’est ni simple, ni complexe mais simplexe”.

Le rôle des forêts comme source d’humidité face aux vagues de chaleur

🌳🌲Les forêts permettent-elles d’atténuer les épisodes caniculaires en Europe ? ☀️🌦️ Alors que paraît aujourd’hui un rapport sur la déforestation dans le monde qui démontre que cette dynamique n’est pas enrayée, il est utile de souligner les bienfaits des écosystèmes naturels.

De plus en plus de scientifiques objectivent les services écosystémiques fournis par la végétation et les proposent comme stratégies concrètes d’adaptation. C’est le cas de l’étude Moisture recycling and the potential role of forests as moisture source during European heatwaves, publiée en 2021 par Agnès Pranindita, Lan Wang-Erlandsson, Ingo Fetzer, chercheurs au Stockholm Resilience Center, et Adriaan J.Teuling, hydrologue au Wageningen University & Research.

Le modèle de suivi de l’humidité atmosphérique WAM-2layers a été utilisé. Il permet de déterminer d’où les précipitations se sont initialement évaporées et où cette humidité finit par aboutir. Les données de vagues de chaleur datant de 1979 à 2018 ont été analysées.

Plusieurs faits saillants ressortent de l’étude :

🔸Les vagues de chaleur peuvent s’auto-amplifier à cause d’une rétroaction climatique interne qui réduit les précipitations locales.

🔸 En Europe du Nord et de l’Ouest, l’apport d’humidité de l’Atlantique Nord est réduit pendant les vagues de chaleur, tandis que l’apport d’humidité terrestre augmente. Environ 10% de l’approvisionnement en humidité des sources océaniques serait remplacé par des sources terrestres (de l’est du continent euro-asiatique et de l’intérieur des régions en question).

🔸En Europe du Sud, les sources locales d’humidité sont limitées, ce qui entraîne “une diminution spectaculaire du recyclage de l’humidité”. Ceci souligne l’urgence de la situation du pourtour méditerrannéen, que nous explorons dans plusieurs posts ([3], [4] et [5]).

🔸 Surtout, les forêts fournissent uniformément une humidité supplémentaire à toutes les régions pendant les vagues de chaleur et contribuent ainsi à amortir les impacts locaux.

Ce n’est pas un scoop, mais sans l’importante couverture forestière de l’Europe ces vagues de chaleur auraient un impact bien plus ravageur. Cela doit inciter à envisager l’aménagement du territoire de manière systémique.

On le voit, les solutions fondées sur la nature sont vitales pour l’adaptation de nos territoires. Grâce à l’agroforesterie, le développement de corridors d’humidité pourrait soulager la fonction de réservoirs d’humidité des forêts “naturelles” (voir le concept de Targeted rainfall enhancement ). Maillons la France et l’Europe d’autoroutes de la pluie !

En plus de soutenir les forêts existantes, il serait judicieux de repenser la gestion des zones humides, mais aussi de recréer un maillage dense de mares à travers le territoire, pour  multiplier les réserves d’humidité. Cela permettrait également d’atténuer les risques d’érosion et d’inondation.

Comprendre la syntropie 2 : Le vivant est une structure dissipative

Ce post fait suite à un post dans lequel nous situions l’agriculture syntropique d’un point de vue anthropologique (cf article).

Souvent, on présente la syntropie comme l’inverse de l’entropie. Or selon le second principe de la thermodynamique, ce qui caractérise l’entropie c’est qu’elle ne peut pas diminuer. Elle ne peut donc pas à proprement parler avoir d’inverse.  

La capacité du vivant à s’ordonner, croître et se reproduire, stocker de l’énergie, s’aggrader apparaît alors comme paradoxale (Qu’est-ce que la vie ? Erwin Schrödinger 1944).

Ce paradoxe, c’est le physicien Ilya Prigogine qui le résout grâce au concept de structure dissipative (Temps, Structure et Entropie, Ilya Prigogine, Bulletins de l’Académie Royale de Belgique Année 1967 53).

La dissipation désigne le fait qu’au cours du temps un système dynamique perd de l’énergie sous forme de chaleur. Ainsi le caractère irréversible de l’entropie devient un cas particulier du caractère irréversible du temps. 

En agriculture syntropique, on utilise :

La succession végétale qui permet de maintenir en permanence une végétation à un stade optimal : c’est la dimension temporelle.

La stratification afin de favoriser la captation optimale de la lumière : c’est la.dimension énergétique

La perturbation qui permet de stimuler l’activité biologique : c’est la dimension entropique.

A ces trois paramètres il faut en rajouter un principe d’intensité : l’abondance. La syntropie c’est produire beaucoup en permanence. 

Ainsi la syntropie, que nous avions défini en première approximation comme un mouvement anthropologique autour de pratiques agricoles, s’avère être un moyen de médiation énergétique auquel il convient de réfléchir. L’agroécosystème syntropique constitue certainement une bifurcation dans le mode de production agricole, mais il nous fait surtout comprendre qu’une intensification démesurée de l’activité végétale libère un potentiel qui pourrait être une partie de la réponse à nos problèmes de dessèchement et de surchauffe : Utiliser la capacité de dissipation du vivant ; un mouvement anthropologique et anthropique.

Pour l’autoroute de la pluie, l’agroécologie et en particulier l’agroforesterie, permet d’engager une transition du point de vue de l’alimentation et de la biodiversité, mais aussi du point de vue d’une équation énergétique globale.

Pour une hydrologie régénérative

🌧️Connaissez-vous l’hydrologie régénérative qui vise à hydrater nos territoires ?🏞️

Le collectif de l’Autoroute de la Pluie adhère pleinement à cette approche qui vise à : 


🌧️🏞️ Ralentir, répartir, infiltrer et stocker toutes les eaux de pluie et de ruissellement 

🌱🌳 Densifier la végétation multifonctionnelle, cultivée ou non

L’énoncé de ces principes provient du site de l’association française Pour une Hydrologie Régénérative, créée en 2022.

Pour comprendre ces enjeux, Ananda Fitzsimmons revient dans son livre “Hydrater la terre” (commande disponible sur le site des éditions La Butineuse) sur le rôle oublié de l’eau dans la crise climatique. L’environnementaliste et promotrice de pratiques agroécologiques canadienne revient sur les risques liés à la désertification des territoires et les possibilités de régénérer le cycle de l’eau. Elle évoque plusieurs exemples d’application de l’hydrologie régénérative. Ainsi, en Arabie Saoudite des bédouins travaillent à contrer la désertification au moyen d’ingénieux dispositifs visant à ralentir le flux des rares précipitations, relançant ainsi l’activité photosynthétique [voir ce post très instructif].

En Australie, l’ingénieur et agriculteur PA Yeomans [version électronique du livre “The Keyline plan” de PA Yeoman] a dans les années 1950 inventé et appliqué le keyline design [définition du keyline design sur le site de Neayi – triple performance], un des piliers de l’hydrologie régénérative. Cette technique d’aménagement vise à maximiser les ressources en eau. En étudiant la topographie du territoire, il est possible d’y intégrer des keylines, qui suivent les courbes de niveau, pour y stocker et infiltrer les pluies. Les résultats en milieu semi aride ayant été probants, ces principes ont commencé à essaimer.

En France, Simon Ricard est un des praticiens de l’hydrologie régénérative (avec Perma Lab). Il accompagne des agriculteurs pour renforcer la résilience, hydrique notamment, de leurs exploitations. Alain Malard aide plus spécifiquement les viticulteurs. Tous deux partagent régulièrement sur LinkedIn des informations sur leurs activités.

Citons également Samuel Bonvoisin, conférencier et consultant en agroécologie, qui contribue à diffuser ces bonnes pratiques. Enfin, Charlène Descollonges, hydrologue de formation, auteure et conférencière, a acquis une notoriété qui permet de diffuser largement ces idées novatrices et porteuses d’espoir. La liste n’est pas exhaustive, cette association rassemblant de nombreux praticiens soucieux d’hydrater durablement les territoires.

Cette association travaille actuellement à mettre en place des “Plans territoriaux de régénération des cycles de l’eau “ afin que l’hydrologie régénérative passe à l’échelle en France. On le voit, hydrologie et pratiques agricoles et forestières sont étroitement imbriquées. Les convergences avec l’autoroute de la pluie sont évidentes.

Il est plus que jamais nécessaire de revoir notre manière de penser le territoire et d’y intégrer les notions d’hydrologie régénérative, d’agroforesterie à grande échelle et d’agroécologie. Cela ne pourra que renforcer les territoires et contribuer à atténuer la crise climatique.

Comprendre la syntropie 1 : le jardin tropical

Dès le 16ème siècle, l’exubérance de la flore tropicale a pour les Européens quelque chose du jardin d’Eden ; une image du paradis terrestre qu’on retrouve dans quantité d’œuvres : les voyages de Bougainville, Paul et Virginie, les jungles du Douanier Rousseau. Cette image d’une nature idéale cristallise les regrets d’une société marquée dès le 18ème par l’exode rural et le colonialisme. Au 19ème, les palmiers chanvres arrivent devant les fermes du Sud-Ouest. Ils sont ramenés par les jeunes gens qui vont faire leurs 5 années de service outre-mer. Au 20ème siècle, les pavillons coloniaux, la démocratisation de la banane, du café et du chocolat finiront par consolider cette image d’abondance.

Pour ceux qui s’y installent, souvent issus de territoires pauvres, où on s’échine à valoriser des sols trop maigres, trop caillouteux ou des saisons trop courtes, la croissance des plantes en zone tropicale humide a quelque chose d’indécent. Ils feront de ce potentiel un pilier de la prospérité Européenne [Etemad Bouda, De l’utilité des empires. Colonisation et prospérité de l’Europe, XVIe-XXe siècles].

Pourtant, tout a leur fascination, ils passent complètement à côté de l’essentiel. L’Amazonie du 16ème siècle n’est pas une forêt vierge [Stéphen Rostain, La forêt vierge d’Amazonie n’existe pas, éditions Le Pommier, 2021], mais un véritable jardin tropical hébergeant jusqu’à 10 millions d’habitants [fouilles menées par Mamirauá Institute for Sustainable Development et l’archéologue Rafael Lopes de l’université de Sao Paulo] sur les 50 à 80 millions que compte l’Amérique à l’arrivée des colons [Earth system impacts of the European arrival and Great Dying in the Americas after 1492]. Les indigènes aussi sont des cultivateurs. Il existe une façon de faire de l’agriculture qui échappe à l’appréhension des Européens et de leurs descendants.

Contrairement au champ, qui est une simplification drastique, un effacement de l’écosystème préexistant, l’agroforêt tropicale compose avec la complexité et la dynamique du vivant. Pour Ernst Götsch, chercheur et cultivateur agroforestier au Brésil, cette opposition confronte l’ordre à l’intérieur du vivant au chaos des systèmes physiques. La vie est alors caractérisée par une entropie négative. Erwin Schrödinger (celui du chat 🐈‍) dans son ouvrage “Qu’est-ce que la vie ?” parlera à ce propos de néguentropie. Le mathématicien italien Luigi Fantappiè dans une tentative de regrouper physique et biologie, inventera, lui, le terme de syntropie.

Dans cette perspective en première approximation, si on considère qu’à compter du 16ème siècle, l’Europe a exporté sa façon de concevoir la production végétale, l’agriculture syntropique pourrait être une tentative d’initier un mouvement inverse.

L’agroforesterie en bande dessinée de Lotufo & Trevelin (2019, disponible en ligne) donne une première image du sujet.

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